Soyons honnête, avant octobre dernier, le nom d’Elie Boissin ne m’était pas inconnu, mais comme tant d’autres, restait vaguement associé au monde de la plongée. C’est la parution de sa "Langouste" et sa présence au Festival Mondial de l’Image Sous-marine de Marseille qui m’ont fait m’intéresser de plus près au bonhomme.
Et quelle carrière ai-je découvert !
Elie, monsieur aux multiples facettes, est, ou fut, pêcheur sous marin, GO au Club Med, recordman du monde d’apnée, "homme grenouille" de profession, animateur radio, comique en one-man-show, présentateur TV, peintre … et bien sûr écrivain. Aussi à l’aise avec un micro, une guitare, une bouteille de plongée ou un pinceau, c’est aussi par ses écrits qu’il s’est fait connaître. "Pour les beaux yeux d’une langouste", puisque que c’est de cet ouvrage qu’il s’agit ici, est son 47è bouquin.
Je vous laisse le soin de découvrir par vous-même ces nombreux autres domaines de prédilection.
A l’occasion du Festival, il fut également possible d’acquérir en avant-première le "Plongeurs international" n°130, qui proposait quatre pages sur sa carrière atypique, pendant laquelle il côtoya quelques personnalités hors du commun : Haroun Tazieff, Paul-Emile Victor, Jacques Mayol, Albert Falco ...
Le titre de cet article ?
"Heureux qui comme Ulysse ..."
Tout un programme !
J’ai donc rencontré Elie au Festival de Marseille, en octobre dernier. Et j’y ai découvert un homme fort chaleureux, peu avare d’anecdotes de toutes sortes. Au bout de quelques minutes d’entretien et de rires partagés, il acceptait gentiment cette interview à propos de son livre.
Pensez-vous, une verve pareille, je n’allais pas laisser passer l’occasion !
Il me dédicaçait sa "Langouste" et accompagnait sa (longue) prose d’un joli plan de Marseille. Avec ça, point besoin d’un GPS.
Alors, après avoir décortiqué l’ouvrage, j’ai envoyé le questionnaire à Elie qui n’a pas perdu de temps pour y répondre. Je vous livre tout ça ci-dessous. Par endroits, j’ai noté les numéros des pages auxquelles se réfèrent les questions, afin que ceux qui ont ce livre à disposition puisse y retourner.
"Pour commencer, je vais attaquer par des petites questions-clin d’œil :
- Première question : tu chantes toujours à table ?
Seulement quand je suis assis dans le sable, une guitare sur les genoux et des amis, amoureux de paroles douces, comme le fond de l’air qui n’arrive pas à rafraîchir les cœurs !
Sinon, dans le civil, je m’en tiens toujours aux propos que ma mère m’adressait lorsque j’étais enfant : « Qui chante à table et siffle au lit est à deux pas de la folie ! » …dieu sait si ce n’est pas drôle d’être sérieux !
- La première langouste dont tu nous parles n’a guère le sourire, et a plutôt un regard inquiet.
C’est tellement agréable de pouvoir lire dans les yeux de ceux qui nous regardent, dans ce domaine la langouste ne serait-elle pas un humain qui s’ignore ?
- Tu serais capable de décrire le goût du foie de sar ? (page 13)
Je pense que tu parles du foie cru … donc, une fois que l’on s’est habitué à la vision plus ou moins sanguinolente des entrailles, c’est aussi bon qu’une huitre ou un oursin …
donc, à déguster les yeux fermés … pour les âmes sensibles !
- "Dans ce regard je sentais que je venais de tomber amoureux d’un autre monde, d’un monde aux mille nuances de bleu ..." (page 11)
Toi aussi tu es tombé dedans quand tu étais petit ?
Si ma couche n’a pas été faite de paille c’est tout simplement que le « cabanon » familial se trouvait au bord de l’eau, dans une calanque, celle qui m’a vu grandir et forcément a surveillé du coin de l’œil mes premières glissades terrestres qui m’ont conduit sous l’eau. Oui, je crois que l’on peut le dire la Méditerranée a été mon chaudron de potion magique qui avait un goût de sel, et les ingrédients en étaient les oursins, les arapèdes et les violets. Recette à ne pas dévoiler à un certain druide il en serait jaloux !
-Pour ceux qui douteraient de tes origines marseillaises, je conseille la lecture de ces mots :
"Heureusement, quel plaisir, quand toutes ces petites choses (les capotes anglaises) se dégonflaient, lorsqu’on en tenait les bords plus ou moins écartés, il s’en échappait un bruit qui ressemblait vaguement au chant des cigales, à croire que nous vivions un éternel été" (page 31)
Il n’y a qu’un marseillais pure souche qui puisse assimiler le bruit d’une capote au "chant" de la cigale.
Normal me direz-vous, c’est en été que l’on trouve le plus souvent sur des plages les restes d’une estocade amoureuse et les cigales le lendemain en content l’histoire, et puis, jour après jour le mimétisme se laisse aller dans le choix , léger et chantant, comme l’accent de chez nous, ainsi on découvre que c’est à cet instant que les capotes livrent enfin les déclarations d’amour qui vont durer… la vie d’une cigale !
- Pour un apnéiste chasseur, c’est tout de même un comble de pêcher des sardines en boîte.
Superbe tableau de chasse ! (page 89)
Il est certain que cette nuit-là, nous en avons beaucoup ri. Chasser le trésor sous-marin pour ne découvrir au final que cinq cents kilo de sardines en boites n’est pas glorieux. Pourtant cette histoire, petite aventure scabreuse a permis à toutes les petites vieilles de la rue où j’habitais, de manger pendant plusieurs mois à leur faim ! La fortune ratée est devenue, à la joie de tous, un chouette conte de fée ! Je crois que c’est cela qu’il faut retenir.
- Je retiens de ton cours de cuisine qu’il existe autant de "seules vraies" bouillabaisses qu’il existe de pêcheurs. (page 134)
Oui, c’est gonflant de voir sur les devantures des restaurants une phrase qui ne veut rien dire « Ici, la vraie bouillabaisse de Marseille » … Je peux vous affirmer que dans ma calanque, au cabanon, c’est une phrase que l’on ne prononçait jamais, et pourtant, c’est bien là le seul endroit où l’on cuisinait un vrai repas de pêcheurs. A la base, les pêcheurs faisaient cuire pour leur repas les poissons qui n’étaient pas présentables pour être vendus. Poisson qui avaient été soit, en parti mangés par d’autres poissons dans les filets, ou les poissons pas suffisamment nobles pour faire recette. Pour mieux tenir au ventre les hommes rajoutaient quelques morceaux de pain rassis, et c’est cela qui fut et restera la vraie bouillabaisse. Pour les autres… bof, quand on n’est pas capable d’inventer des recettes, on invente des phrases !!!
- Ta définition du travail au Club Med est plutôt ... alléchante !! (page 14)
Par contre, le salaire l’était beaucoup moins, alléchant.
Nous étions à une époque où les GO du club n’étaient pas encore syndiqués ? Je crois d’ailleurs que si un représentant syndical s’était présenté dans un village il aurait terminé les pieds dans le béton dans quarante mètres d’eau !
Etre « employé » ( Gentil Organisateur) était dans les années, juste avant 1960, un sacerdoce. Chacun le pratiquait avec une passion non-dissimulée, loin de regarder le nombre d’heures passées aux impératifs de la réussite des vacances des estivants (Gentils Membres). Notre énergie était alimentée par le rire, présent dans tous les instants et devenant communicatif pour le bonheur de tous. Ceux qui ne possédaient pas la religion, non pas de l’esprit-saint, mais simplement de l’esprit club ne faisait pas carrière dans la place.
Tout cela, travail et plaisir avaient un prix, le prix d’un salaire minimum et personne ne s’en plaignait. Et malgré ces salaires basiques, nous terminions tous, en fin de saison, avec un petit pécule très agréablement gagné. Je peux même rajouter que ceux qui n’ont pas réussi au club ont fait de même dans la vie de tous les jours, dans la vie tout court, car le Club à cette époque était certainement la meilleure école de la vie ( Voir du même auteur : « Paréos et chasses sous-marines » ).
LA VIE ET LA MORT :
-Au début de tout, il y eut Jules Rossi. Puis vint la rencontre avec Georges Beuchat. Tes débuts sont parsemés de belles rencontres.
Il est vrai que j’ai eu la chance de rencontrer des hommes, des personnages hors du commun au moment où je faisais, moi, mon entrée dans la vie. Jules Rossi, créature dont la force, la volonté, l’endurance et la gentillesse aurait dû être le moule pour un clone parfait.Jules, tu étais venu d’un autre temps, celui où la dureté savait se mélanger à l’amour, donnant un facteur incommensurable de gentillesse et d’amitié. Jules tu m’as tout appris sans en tirer la moindre gloire, car pour toi, tout était naturel. Et je crois qu’à l’heure actuelle en France, il faudrait plein de gens comme toi, ils n’y sont pas, et toi tu te retournes dans une obscurité qui se veut éternelle.
Quant à Georges Beuchat, c’était un grand Monsieur. Je ne peux, pour le remercier de ce qu’il a fait pour moi, vous en offrir tous les détails, alors faisons silence et imaginons le meilleur dans chacun des rêves qui vous a habité !
- La mort est passée pas loin, à plusieurs reprises : la bombe dans les calanques, la bombe du réservoir d’essence de Berre, la syncope sous le pétrolier.
C’est ce qui t’a fait tant aimer la vie ?
C’est vrai, je suis passé plusieurs fois à deux doigts de la mort. Mais, dans tout ce que j’ai réalisé j’ai toujours cherché à mettre madame la Chance de mon côté, si parfois il y a eu des ratés, oui c’est vrai, c’est ce qui me donne la force et le bonheur de constater que la vie est le plus beau des cadeaux. Il y a pourtant plein de cons, qui consacrent la leur à vouloir détruire celle des autres.
- A propos de l’épisode de la mort de l’ami André, dans une crique corse. Une fois de plus, on a l’impression qu’un ange gardien veille sur toi ?
Je le crois aussi, mais je n’arrive pas à savoir s’il est masculin ou féminin…si j’avais le choix je crois que… J’en ris !
LA NATURE :
- Aujourd’hui, l’on a du mal à croire que l’Etang de Berre a connu une visibilité exceptionnelle. A te lire, on voit une grande amertume en ce qui concerne Berre, un grand gaspillage de plus, de la main de l’Homme.Ca sent un énorme regret pour le paradis de Berre.
L’homme saccage tout ce qu’il touche, dans tous les domaines. D’ailleurs, s’il n’avait pas commencé à l’âge des cavernes à traîner derrière lui, la femme par les cheveux, elles nous le feraient payer moins cher aujourd’hui ! Quoique…là-aussi, j’en ris !!!
- Tu as une vraie antipathie, une aversion même envers les pêcheurs en bouteille. Oursins, corail rouge ... tu déplores, au long du livre, ces pêches destructrices.
Je ne pense pas qu’un dessin soit nécessaire pour expliquer le comportement de certains. Ce sont des irresponsables, dont quelques-uns sont devenus riches sans se soucier de l’appauvrissement du milieu marin. Si certains maintenant s’enorgueillissent à l’idée de créer des Parcs et réserves maritimes, ne vous affolez pas, ce n’est pas pour la paix des petits poissons, le reste va venir et il sera trop tard pour crier au loup !
- Précurseur de la filière bio, tu as un credo : bien connaître le milieu pour mieux le protéger. Tu es plus un amoureux défenseur de la nature qu’un "écolo" ?
Non je ne suis surtout pas un « écolo ». Au moment des élections je ne tourne pas ma veste en donnant mon bulletin de vote aux partis-politicards que j’ai critiqués dans les mois écoulés. Les écolos sont des politiques qui ne connaissent pas plus le nom des plates que des espèces de poissons, ils ne connaissent que le profit. Il n’y a qu’à voir la ministre de l’écologie en 2015 et vous aurez tout compris ! Arnaque quand tu nous tiens ...
AMITIES ... OU PAS !
- Tu affiches clairement ton dégoût d’une certaine nomenclature à la française, où le paraître et le gaspillage font bon ménage. (page 97)
C’est exact, j’ai horreur de la frime, c’est sans doute la raison qui me fait préférer la nudité sous toutes ses formes, surtout lorsque les formes sont aux endroits les plus délicats et attirants, chez vous…mesdames !
- Au début, tu fais état de soucis avec la fédé. Et en 2014, c’est sur le stand de la FFESSM que nous nous rencontrons !
Il y a, à la fédé, des gens qui font leur boulot…!!! J’y ai aussi des amis sincères auxquels je tiens beaucoup.
Donc, ne pas confondre les saloperies que m’ont fait certaines instances dirigeantes il y a fort longtemps (eh oui, un demi siècles maintenant) … tiens je pense même que la fédé a une grosse dette envers moi , alors…
Bref, chacun reconnaîtra les siens !
- A te lire, on voit que tu ne donnes pas aisément ton amitié. Mais que la trahison expose à une rancune tenace. Je pense ici à l’épisode d’Ibiza.
Pour cette question, faut la poser à mes amis….ils sont mieux placés que moi pour y répondre !
- Dans le chapitre consacré à la disparition de ton ami Jules Rossi (page 17), tu termines ainsi "Au revoir, mon Maître ... attends-moi, j’arrive ! "
Je me suis permis d’écrire à la suite, et en réponse : "ne te presse pas, minot, je patienterai"
Tout simplement, je crois que le jour où je mourrai, j’en crèverai de ne pas avoir eu le temps de faire tout ce que j’ai envie de réaliser… !!! Jules, c’est un ami et il est patient… Alors il peut attendre encore un peu !!
TON RECORD :
- 18 août 1959, 42 mètres. Cela semble tellement dérisoire par rapport aux records d’aujourd’hui. Mais il faut se replacer dans le contexte de l’époque.
Dérisoire, si l’on veut, mais c’était tout de même le record du monde !
Pour les amis qui m’entouraient autant que pour moi, battre le record était une fête qui durait plusieurs jours, avant pour se remonter le moral et après pour fêter la réussite. Toujours au rosé bien entendu… L’entrainement en ce qui me concerne était pour ainsi dire nul, je marchais à l’instinct. Les équipements n’étaient pas les mêmes et notre volonté de réussir n’était pas basée sur le côté lucratif des résultats.
A savoir également que maintenant certains champions d’apnée se prennent pas mal au sérieux, alors là je leur dit, attention les mecs avant de vouloir aller toujours plus profond, il faut savoir aussi garder les pieds sur terre.
Un grand bonjour à Pierre Frolla qui est, lui, un mec super-bien ! Et surtout ne pas oublier ma petite préférée Francine Kreiss !
CONCLUSION :
- La langouste, le fil rouge de ton histoire ! Tu as toujours une anecdote au sujet de ce crustacé. C’est devenu ton animal totem ?
Oui, j’adore la langouste, oui c’est mon crustacé fétiche, surtout si elle est représentée par la beauté féminine…, elle sait retirer sa carapace sans que l’on ait besoin de lui demander !
- Pourquoi avoir attendu 47 livres pour te livrer de la sorte ?
C’était une façon bien à moi de préparer la venue du quarante huitième qui sortira en 2016 dont le titre sera « Pour l’amour des poissons à plumes »… alors là, attention, je vais sans aucune restriction offrir pas mal d’anecdotes sorties de ma mémoire, et je ne suis pas certain que cela plaira à tout le monde ! Pourtant je vous le jure, ma plume ne sera jamais acerbe, elle sera douce comme les premiers stylos à encre, ceux qui parfois faisaient des tâches !
- Tu as écrit : "toute ma vie à force de chercher à ne rien faire, je me suis épuisé."
Tu comptes t’épuiser encore longtemps ?
Je ne cherche plus à ne rien faire, au contraire, je m’évertue à vous offrir mon passé, auréolé des moments merveilleux de ce présent, juste avant …qu’il ne soit trop tard !
- Cette langouste, celle de ta jeunesse, si elle avait pu te parler qu’aurais-tu voulu qu’elle te dise ?
Surtout pas des mensonges … je déteste !
- des projets, dans l’immédiat, en dehors de la sortie de ton "Homard" ?
Oui…vivre parmi mes amis au milieu des jeunes femmes qui portent autres choses que des pantalons de mecs ! "
Je remercie vivement Elie pour sa participation à ce blog, et l’autorisation d’utiliser ses photos (en noir et blanc dans le texte). Photos où l’on peut reconnaître les quatre personnages cités plus haut.
Dans quelques jours, c’est le Homard qui montrera le bout de son nez, pour nous distiller à son tour quelques savoureuses anecdotes. Elie nous convie d’ailleurs à une conférence pour fêter dignement son apparition.
BLOC-Notes :
http://elieboissin.eklablog.com
http://memoiredemarseille.eklablog.com/
http://conferenceselieboissin.eklablog.com/-a113169050
Relire la première interview : Franck Machu